Socrate. Tu sais que, lorsqu’on tourne les yeux vers des objets qui ne sont pas éclairés par la lumière du jour, mais par les astres de la nuit, ils ont peine à distinguer ces objets, qu’ils sont presque aveugles, comme s’ils avaient perdu la netteté de la vue. Glaucon. Précisément. -Socrate. Mais que, lorsqu’on les tourne vers des objets éclairés par le soleil, ils les voient distinctement, et que ces mêmes yeux ont toute la netteté de la vue. -Glaucon. Sans doute. -Socrate. Comprends que la même chose se passe à l’égard de l’âme. Quand elle fixe ses regards sur ce qui est éclairé par la vérité et par l’être, elle comprend et connaît , on voit qu’elle est douée d’intelligence , mais quand elle les fixe sur ce qui est mêlé de ténèbres, sur ce qui naît et périt, sa vue s’émousse et s’obscurcit, elle n’a plus que des opinions, passe à toute heure de l’une à l’autre et semble dépourvue d’intelligence. -Glaucon. Il le paraît. – Socrate. Tiens donc pour certain que ce qui répand sur les connaissances acquises la lumière de la vérité, ce qui donne à l’âme la faculté de connaître, c’est l’idée du bien, et crois qu’elle est le principe de la science et de la vérité, en tant qu’elles sont du domaine de l’intelligence. Quelque belles que soient la science et la vérité, tu ne te tromperas pas en pensant qu’il y a encore quelque chose de plus beau. Comme, dans le monde visible, on a raison de penser que la lumière et la vue ont quelque rapport de ressemblance avec le soleil, mais qu’il serait faux de dire qu’elles sont le soleil, de même, dans le monde intelligible, on peut regarder la science et la vérité comme des images du bien , mais on aurait tort de prendre l’une ou l’autre pour le bien lui-même, tandis que la nature du bien doit être regardée comme infiniment supérieure.
Platon, La République, livre 6, Chapitre 5