Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres. […] Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire , qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril , mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance , il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur , mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre , il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages , que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?
De la démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville, 1844. Il invente le capitalisme.
Cours de pensée médiévale sur saint Thomas d’Aquin