La joie même est mauvaise, lorsqu’elle prive de plaisirs plus grands que ceux qu’elle procure

Vous, qui prétendez que certaines choses désagréables sont bonnes, ne voulez-vous point désigner par là les gymnases, la guerre, le traitement des maladies par le feu, le fer, les purgations et la diète ? N’est-ce pas là ce que vous appelez bon, et en même temps désagréable ?
Ils le confesseraient.

Dites-vous qu’elles sont bonnes, parce que, dans le moment, elles vous causent les dernières douleurs et des peines très vives ? N’est-ce pas plutôt parce que vous leur devez dans la suite votre santé, la bonne constitution de votre corps, et l’état son salut, sa puissance et son opulence ? Ils en conviendraient, je pense.
Protagoras fut de mon avis.

Ces choses ne sont donc bonnes que parce qu’elles se terminent au plaisir, et parce qu’elles vous délivrent des peines, ou qu’elles les éloignent de vous. Pouvez-vous nous nommer quelque autre mesure que le plaisir et la douleur, que vous ayez en vue, pour assurer que ces choses sont bonnes ? Ils diraient que non, selon moi.
Et selon moi pareillement, dit Protagoras.

Ne poursuivez-vous pas le plaisir comme étant un bien, et ne fuyez-vous point la douleur comme un mal ?
Nous en convînmes tous deux.

Vous tenez donc la douleur pour un mal, et le plaisir pour un bien, puisque vous dites que la joie même est mauvaise, lorsqu’elle vous prive de plaisirs plus grands que ceux qu’elle vous procure, ou qu’elle vous cause des peines plus grandes que ne sont ses plaisirs , car si vous aviez quelque autre motif d’appeler la joie mauvaise, et que vous eussiez en vue une autre mesure, vous pourriez nous le dire. Or, vous n’en trouverez point.

Platon, Protagoras 354