A quoi sert au sage d’apercevoir de loin les rivages de la patrie, s’il rougit par orgueil de monter sur le navire qui pourrait l’y conduire ?

Cependant il est des hommes qui pensent arriver par eux-mêmes à un tel degré de pureté qu’ils pourront voir Dieu et s’unir entièrement à lui. Hélas! ce grand orgueil ne fait que les souiller davantage. Car il n’est point de péché qui soit plus opposé à la loi divine, et qui affermisse mieux à notre égard la cruelle domination du démon. Ce superbe tyran ne cherche qu’à nous fermer le ciel, et à nous précipiter dans l’enfer. C’est pourquoi nous devons éviter ses embûches secrètes, et nous détourner de la voie qu’il nous trace. Car, nouvel Amalec, ou il attaque de front un peuple abattu et découragé, ou il contrarie et retarde l’entrée de ce même peuple dans la terre promise. Mais voulons-nous le vaincre, appuyons-nous sur la croix du Sauveur Jésus? croix que figurait Moïse en étendant les mains. Au reste les orgueilleux dont je parle, ne présument acquérir par eux-mêmes une entière et parfaite innocence que parce que le génie de quelques sages a pu planer au-dessus de ce monde grossier et terrestre, et percevoir un faible rayon de l’incommunicable vérité. Aussi se plaisent-ils à prendre en pitié ces nombreux chrétiens qui se contentent de croire, et qui n’essaient pas même de s’élever à ces hauteurs. Mais à quoi sert au sage orgueilleux, d’apercevoir de loin, et au-delà des mers, les rivages de la patrie, s’il rougit par orgueil de monter sur le navire qui pourrait l’y conduire? Et quel dommage au contraire reçoit l’humble chrétien dont le regard est beaucoup moins étendu, mais qui se confiant à ce même navire, arrive heureusement au port?

Saint Augustin, De Trinitate, 4, 15, 20

Cours de Patrologie latine sur Saint Augustin