Si toutes les religions humaines, et en fin de compte toute culture humaine se ramènent à la parabole des vignerons homicides, c’est-à-dire à des expulsions collectives de victimes, et si ce fondement reste fondateur dans la mesure où il n’apparaît pas, il est clair que seuls les textes où ce fondement apparaît ne seront plus fondés sur lui et seront vraiment révélateurs. La phrase du psaumes 118 a donc une valeur épistémologique prodigieuse : elle appelle une que le Christ réclame ironiquement, sachant bien qu’il est seul capable de la fournir en se faisant lui-même rejeter, en devenant lui-même la pierre rejetée, pour montrer qu’il y a toujours eu cette pierre et qu’elle fondait de facon cachée , et maintenant elle se révèle pour ne plus rien fonder ou plutôt pour fonder quelque chose de radicalement autre.
Le problème d’exégèse posé par le Christ ne peut se résoudre, en somme, que si on voit dans la phrase qu’il cite la formule même du retournement à la fois invisible et évident que je propose. En subissant la violence jusqu’au bout, le Christ révèle et déracine la matrice structurale de toute religion, même si, aux yeux d’une critique insuffisante, ce n’est qu’à une nouvelle production de cette matrice qu’on a affaire dans les Évangiles
Des choses cachées depuis la fondation du monde – René Girard