La controverse Donatiste m’était connue depuis plusieurs années, ainsi que j’en ai donné la preuve plus haut. Le cas ne pouvait, disais-je, être assimilé à celui de l’Église Anglicane. Saint Augustin en Afrique écrivait contre les Donatistes africains. C’étaient des fanatiques qui faisaient un schisme dans l’Église d’Afrique, mais sans en franchir les limites. C’était la lutte d’un autel contre un autel, de deux hommes occupant le même Siége, comme celle des Non-Jureurs d’Angleterre et de l’Église établie. Ce n’était point la lutte d’une Église contre une autre, comme celle de Rome contre les Monophysites d’Orient. Mais mon ami, homme scrupuleusement religieux alors comme maintenant, trèscher à mon coeur, et Protestant encore aujourd’hui, me fit remarquer les paroles frappantes de saint Augustin, que renfermait un des extraits faits dans la Revue, et qui avaient échappé à mon observation : Securus judicat orbis terrarum. Il répéta ces paroles à plusieurs reprises, et, quand il fut parti, elles continuèrent de résonner à mon oreille: « Securusjudicat orbis terrarum.» C’étaient des paroles qui allaient plus loin que la question des Donatistes, elles s’appliquaient à celle des Monophysites. Elles donnaient à l’article une force qui m’avait échappé d’abord. Elles décidaient des questions ecclésiastiques d’après une règle plus simple que celle de l’Antiquité,car saint Augustin était un des premiers oracles de l’Antiquité, ici doncl’Antiquité décidait contre elle-même. Quelle lumière se trouvait par là jetée sur toute controverse dans l’Église ! Non que, pour un instant, la foule ne pût errer dans son jugement, non que, dans la tempête Arienne, plus de Siéges qu’on n’en saurait compter n’aient ployé devant sa furie et n’aient abandonné saint Athanase, non que la foule des évêques d’Orient n’ait eu besoin, pendant le combat, d’être soutenue par le regard et la voix de saint Léon, mais parce que le jugement réfléchi auquel l’Église entière s’arrête et adhère enfin, est une prescription infaillible, une sentence définitive contre celles de ses branches qui protestent et s’éloignent d’elle.
John-Henry Newman, Histoire de mes opinions religieuses, P181