Les âmes que Dieu élève à cet état sont, me semble-t-il, des âmes généreuses, des âmes royales , elles ne se contentent pas d’aimer quelque chose d’aussi méprisable que nos corps, quelles que soient leur beauté et leurs grâces sans nombre , si la vue du corps leur fait plaisir, elles louent celui qui l’a créé , quant à s’y arrêter plus d’un instant – je veux dire au point de s’énamourer de tels attraits – non. Elles auraient l’impression d’aimer une chose sans substance et d’affectionner une ombre , elles auraient honte d’elles-mêmes, et n’auraient pas l’impudence de dire à Dieu qu’elles l’aiment sans être remplies de confusion.
Mais, me direz-vous, ces personnes ne doivent pas savoir aimer , car, à quoi s’attachent-elles si ce n’est à ce qu’elles voient ? Et bien, elles aiment beaucoup plus et avec une passion plus grande, avec un amour plus vrai et un amour plus profitable , enfin, c’est de l’amour, et ces autres affections basses en ont usurpé le nom.
Il est vrai qu’elles aiment ce qu’elles voient et s’affectionnent à ce qu’elles entendent , mais les choses qu’elles voient sont stables. Si donc elles aiment un ami, elles passent outre le corps – car, je le répète, elles ne peuvent s’y arrêter – fixent les yeux sur l’âme et considèrent s’il s’y trouve quelque chose à aimer , s’il n’y a rien, et si elles perçoivent quelque indice ou disposition leur permettant de soupçonner qu’en creusant cette mine elles trouveront de l’or, leur amour fait qu’elles comptent leur peine pour rien , il n’y a aucun obstacle qu’elles ne soient prêtes à surmonter volontiers pour le bien de cette âme , elles désirent l’aimer, et elles savent très bien que ce sera impossible si cette âme n’est pas riche en biens spirituels et animée d’un grand amour de Dieu.
Ste Thérèse d’Avila, Le chemin de la perfection, Chapitre 10