Même celui qui est malheureux connaît suffisamment le bonheur pour le désirer

Mais n’est-ce pas cette vie heureuse après laquelle tous les hommes soupirent et que nul ne dédaigne ? Où l’ont-ils connue pour la désirer ainsi ? où l’ont-ils vue pour l’aimer ? Il faut donc qu’elle soit avec nous, comment ? je l’ignore, il faut qu’elle soit en nous, mais à différentes mesures. L’heureux en espérance la possède, moins que l’heureux en réalité, plus que celui qui est déshérité et de la réalité et de l’espérance. Mais celui-là même la possède à certain degré, puisqu’il la désire, et d’un désir incontestable.

Quelle est donc cette notion dans l’homme ? je ne sais. Réside-t-elle dans sa mémoire ? c’est le problème qui m’intéresse, car alors, il faut que nous ayons été autrefois heureux. Est-ce individuellement, est-ce dans ce premier homme, premier pécheur, en qui nous sommes tous morts, premier père de nos misères ?

Saint Augustin, Les confessions, Livre 10, Chapitre 20