On devient injuste dès qu’on croit pouvoir l’être sans crainte

Or, s’il y avait deux anneaux de cette sorte et qu’on donnât l’un à l’homme de bien et l’autre au méchant, oh ne trouverait aucun homme d’un caractère assez inébranlable pour persévérer dans la justice et pour avoir le courage de ne pas toucher au bien d’autrui, alors qu’il pourrait enlever impunément de la place publique tout ce qu’il voudrait, entrer dans les maisons, abuser de toute sorte de personnes, tuer les uns, briser les fers des autres et faire tout à son gré comme un dieu parmi les hommes. En agissant ainsi le juste ne différerait pas du méchant, mais ils tendraient tous deux au même but, et rien ne prouverait mieux qu’on n’est: pas juste de son plein gré, mais par nécessité, comme si ce. n’était pas un bien en soi d’être juste, puisqu’on devient injuste dès le moment qu’on croit pouvoir l’être sans crainte.

Platon, La République, livre 2, Chapitre 2